Cinq facettes de l'apprentissage du tango argentin


On me demande souvent "combien de temps il faut pour apprendre le tango ?", pour avoir un peu de plaisir...
Posons déjà un ou deux éléments : il n'y a pas une personne qui ait reçu le diplôme "je suis le tango". Cela signifie que les danseurs sont (normalement) toujours en recherche et que, pour moi, la règle, c'est que tant que l'on ne fait pas mal à l'autre, que l'on ne se fait pas mal et que l'on respecte le groupe (le bal), il n'y a pas d'interdit, tant que l'on est CONSCIENT de ce que l'on fait. 
J'ai aussi une excellente nouvelle pour les dyslexiques ! Dans les 28 danses de couple dont je connais au grand minimum le pas de base, le tango est, avec le kizomba, la seule qui ne fasse pas appel à un schéma avec un pas de base à effectuer en rythme. Le pas de base du tango, c'est la marche, juste la marche, sur la note que l'on souhaite ! On peut alterner les niveaux d'interprétation en passant du rythme à la 1ère mélodie ou bien même la deuxième mélodie comme on en trouve chez Canaro

En combien de temps peut-on apprendre le tango ?

Comme je le précise dans le texte d'accueil du site, il est possible d'apprendre les éléments de base du tango argentin et de circuler en bal en une vingtaine d'heures, comme nous l'explique cette vidéo

Pour ce faire, il "suffit" :
- d'aller régulièrement au cours (une dizaine de cours, si possible toutes les semaines, soit une quinzaine d'heures) avec des enseignants qui dansent à chaque cours avec les élèves et leur proposent des pistent de progression

- d'aller rapidement pratiquer (au minimum 5h effectives dans les conditions du bal ou d'une pratique)

Si vous ne faites qu'aller en cours, la partie "restitution et appropriation de l'apprentissage" n'étant pas mise en pratique, c'est comme si vous appreniez une langue en ne suivant que des cours de grammaire, sans jamais parler, ni avoir de petites conversations et le plaisir qui va avec lorsque l'on constate que l'on commence à pouvoir s'exprimer. 
Aller danser rapidement, même si l'on a l'impression de ne pas savoir assez, de n'être pas assez "bon" est donc une clé indispensable à plus de 95% des danseurs en devenir...

Les cinq éléments de base qui constituent le tango
Le tango, c'est l'équilibre entre cinq éléments, qui bien que très différents les uns des autres permettent une harmonie entre les partenaires et de se faire plaisir assez rapidement. Négliger l'un de ces éléments et soit ce n'est pas du tango, soit ce n'est une relation juste entre les partenaires. 

1- la technique personnelle
Pour danser, j'ai besoin d'être en équilibre, c'est-à-dire de développer un axe stable sur une jambe et de libérer totalement la jambe qui ne supporte pas le poids du corps. Cela m'évite d'utiliser le partenaire comme support, de me faire mal. Ce n'est pas à l'autre de me porter, de me transporter et de compenser mes lacunes. Cela me permet aussi d'utiliser mon corps comme je le souhaite pour interpréter la musique. 
La pratique d'un sport dans l'enfance, même très jeune, ou plus tardivement ou d'une activité corporelle, même détachée, semble-t-il, du tango est donc un véritable atout, sans être non plus une obligation. Certains très bons danseurs actuels n'avaient jamais eu d'activité corporelle avant de commencer le tango. 
Parmi les danseurs les plus reconnus mondialement, il y a Gustavo Naveira qui est un ancien footballeur, Chicho qui était hockeyeur sur glace et batteur, Pablo Veron a fait une vingtaine d'années de judo et de claquettes avant de se tourner vers l'aïkido. 
Un autre domaine permet de développer sa technique personnelle. C'est le fait d'avoir une activité physique dans son cadre professionnel. Etre vendeur debout dans un magasin ou maçon est intéressant car marcher, se déplacer, parfois avec des charges peut être un moyen de développer sa conscience corporelle et donc sa danse. C'est ainsi que j'ai réglé en quelques semaines un problème d'équilibre et de stabilité des pieds que j'avais depuis l'enfance et qui affectait profondément ma danse. Il y a vraiment eu un avant et un après. A chacun d'avoir la curiosité de transformer ses expériences en possibilités de progresser, de mieux se connaître. 

Dans tous les sports, on retrouve les mêmes principes : 
     - les appuis (les pieds, les ischions pour les sports assis...)
     - la colonne vertébrale comme axe central avec la dissociation entre le haut
        et le bas du corps au niveau de la taille


Le tango est donc un super champs de recyclage de nos expériences corporelles antérieures. (*voir en bas de l'article les parallèles que j'ai faits en utilisant mes expériences personnelles). La pratique d'un ou plusieurs sports sont autant d'éléments de comparaison et de référence pour danser le tango et développer sa danse.

Tout cela pour dire que mieux je connais mon corps, mieux je peux ne plus m'occuper de moi, et comprendre le guidage, me consacrer à la relation à l'autre. La plupart du temps, le travail corporel consiste plus dans le fait de désapprendre des choses que nous avons rajoutées à notre posture au fil du temps (épaules en l'air, tête en avant, cambrure exagérée...), à réveiller et à renforcer des muscles oubliés. Lorsque la déformation est trop importante, le fait de faire appel à un kinésithérapeute permet de limiter les risques de se faire mal et d'aller bien plus rapidement dans sa progression. 

Il existe à mon sens trois grandes terrains pour travailler sa technique personnelle en tango
- prendre conscience de ce que fait notre corps 
On ne peut changer des choses qu'en se rendant compte que l'on les fait ! Je me suis donc observée dans la vie de tous les jours. Puis j'ai commencer à utiliser la vie quotidienne comme lieu de changement et d'évolution de mon corps
- avoir une pratique corporelle hors tango
Cela permet de travailler sa souplesse et faire du renforcement musculaire : faire un sport, du yoga, de la barre au sol, des exercices à la maison ou dans le métro... Travailler allongé est intéressant car il permet de faire le mouvement sans la contrainte de l'apesanteur, pour mieux pouvoir revenir en position verticale.

- travailler des éléments spécifiques sur sa danse
Une fois, Daniel Carlsson, un danseur et enseignant argentino-suédois m'a dit : "à part les volcadas (en appui sur le danseur) ou les colgadas (en contre-poids), il n'y a pratiquement rien qu'un danseur ne puisse pas faire seul en tango". Cela a été une révélation ! J'ai pris mes responsabilités !
Depuis, j'ai travaillé seule les éléments de base du tango (marche, huit, tours, croisé) et cela m'a permis de beaucoup progresser. J'ai mis en place des séries d'enchaînements qui me permettent de développer ma technique et d'en constater l'évolution. 
C'est pour faciliter ce travail, pour le rendre concret que j'ai conçu une série d'exercices issus de différentes pratiques (yoga, échauffements sportifs, Feldenkreiss...), permettant ainsi aux danseurs de "conditionner leur corps "hors tango", afin de pouvoir se consacrer à la connexion pendant le bal, plutôt qu'aux contraintes de leur propre corps.

2- Le guidage 
Le deuxième élément en tango, c'est de comprendre la notion de guidage : qu'est-ce que c'est que proposer un mouvement et de réceptionner ce mouvement ? 
Le principe mécanique du tango, c'est que les deux parties du corps de la personne qui guide ainsi que le torse de la personne qui est guidée ont pour objectif de mettre en mouvement le bas du corps de la personne qui est guidée, soit en rotation, soit en translation. 
Le guideur apprendra un certain vocabulaire, des pas (d'abord avec les éléments de base du tango (marche, huit, croisé), puis d'autres concepts (baridas, saccadas, boleos, gancho, colgadas, volcadas...) et enfin d'autres enchaînements qui vont constituer des figures plus complexes incluant la musique, le rythme...) et le guidé apprendra à transformer l'énergie qui lui est proposée. Il y a une sorte de "miroirisation" de l'énergie reçue par le guidé et c'est elle qui fait déplacer le bas du corps de la personne guidée. 
Il existe plusieurs types de déplacements en tango : 
- les deux personnes se déplacent ensemble en parallèle, elles "se translatent" ensemble
- le guideur tourne autour de la personne guidée

- la personne guidée tourne autour de la personne qui guide

Il me semble que les personnes qui croient que c'est juste en apprenant des pas que l'on devient un bon danseur de tango se trompent de sujet et surement de danse. Le tango, c'est danser, danser avec une autre personne au sein du bal. L'autre n'est pas une machine et c'est cela qui rajoute l'élément intéressant. 
La difficulté du guideur va être, après avoir appris un certain nombre de pas/figures : 
-  d'arriver à les combiner, à les lier les uns aux autres
- de croire que danser, c'est faire des pas au lieu de déjà être en capacité de jouir juste du faire de marcher. 
Pour le guidé, le gros travail va être de trouver l'équilibre entre le lâcher-prise et la passivité, la réactivité et l'anticipation.
Apprendre à guider ou être guidé, c'est donc une chose, le mettre en pratique avec un partenaire dans le bal en est une autre... qui nous conduit à notre troisième élément pour développer son tango !

3- Le trio : le couple au service de la musique
Le tango, pour moi, ce sont deux personnes qui cherchent à faire équipe pour être au service de la musique, loin des égos, deux personnes en conversation corporelle, dans une écoute profonde et ludique, comme l'on peut le voir dans cette vidéo. Les partenaires ont travaillé leur corps et leur technique pour pouvoir les oublier lorsqu'ils seront en interaction et ainsi être vraiment à l'écoute.

Il y a donc ici deux aspects : la (re)connaissance de la musique et la volonté de faire équipe. 

S'approprier la musique
La différence entre la danse et le sport, c'est que la danse se fait sur de la musique. La musique fait donc partie intégrante du couple. Le tango est une musique particulière. Déjà, il y a 5 musiques différentes : le tango, la valse, la milonga, le cancombe, le canyengue. Chacune de ces danses implique une énergie différente. 
Les morceaux qui ont survécu jusqu'à présent ont plusieurs caractéristiques : ils ont une base rythmique et une voire deux mélodies (comme souvent chez Canaro, en canon ou en superposition). La mélodie est exposée une première fois puis se répète avec plus ou moins de nuances. Ces répétitions, ainsi que l'arrivée d'un passage plus intense ou plus doux sont annoncées pas le compositeur, comme s'il nous envoyait des sms pour nous prévenir, nous mettre en état pour la prochaine énergie à interpréter.
Ecouter régulièrement de la musique et voir des vidéos en dehors des milongas ou des cours et aller en bal en bal permet de développer son oreille tango et de mieux en mieux apprendre à pressentir ce qui va venir ou à progressivement le savoir par coeur. 

Faire équipe en tango 
Ce qui va être beau, c'est le fait que les deux partenaires aient envie tous les deux de danser ensemble et de partager une musique. Ils doivent donc mettre le même enjeu sur un morceau. Si je trouve ce morceau dramatique et que mon partenaire le trouve plutôt bouffon, il va être difficile de passer un bon moment sans que l'un ne doive faire le deuil de ce qu'il ressent pour cette musique. Il sera donc important de choisir la personne qui pourrait avoir les mêmes envies que nous pour la série de morceaux du même orchestre qui s'annonce.

Une fois le partenaire choisi, le principe n'est pas d'enchaîner les pas, mais de développer notre complicité pour interpréter chaque pas/note. C'est comme faire grandir nos oreilles à la même taille pour que nos corps parlent de la même chose. 
Dans le tango qui m'intéresse (car chacun a sa définition), il y a une personne qui guide, qui va proposer et une personne qui va recevoir/magnifier la proposition et, de temps à autre, faire des suggestions. Le guideur, en fonction du cadre, de la place, de la musique pourra réceptionner ou non ces suggestions. Il s'agit d'un véritable échange, pas d'une soumission ou d'une passivité.
Le guideur fait donc preuve de leadership, mais aussi d'une écoute active, c'est-à-dire de "followership" pour se nourrir des réactions du guidé. Le guidé va, de son côté, faire preuve de followership, et, de temps à autre de leadership, comme on le verrait dans le dessin du yin et du yang. 
Dans ce travail d'équipe, où l'égo est mis de côté, plus j'ai travaillé ma technique personnelle et ma technique de guidage, plus je peux mettre mon axe et ma jambe libre au service de l'interprétation de la musique et de la connexion. En tant que guidé, on finit par avoir la sensation que notre jambe libre passe son temps à voler autour de nous, c'est assez extraordinaire. Avec le partenaire, nous devenons les spectateurs de cette jambe musicale. C'est ce que nous pouvons voir dans cette vidéo où l'on voit une forme d'étonnement des deux partenaires à 2'20, bien différente de ce qui se passe dans celle-ci qui est aussi virtuose, mais dans un autre état d'esprit.
C'est lorsque j'ai partagé cette même énergie avec une personne que j'ai été au meilleur de moi en équipe que l'on évoque la notion de "flow", ce moment "d'excellence" où tout est évidence et fluidité. 
C'est ce partage profond avec l'autre qui n'est pas forcément la recherche d'une performance physique, qui me donne cette sensation d'accomplissement et qui peut parfois d'ailleurs être à l'origine de certains comportements addictifs. 
Pour développer ce trio, aller danser régulièrement et très tôt dans l'apprentissage est primordial et permet de développer son écoute musicale, de mieux connaître son corps en interaction, de progressivement laisser tomber les barrières défensives. 
Des pratiques telles que le théâtre, la musique en orchestre, l'improvisation (musique/jazz, théâtre...), la danse contact... peuvent favoriser le développement de cette capacité d'écoute.

4- Le couple dans le bal
Le tango, c'est avant toute chose une danse de groupe. A quelques exceptions près, on apprend le tango pour aller danser en bal/à la milonga. Les guideurs ont souvent tendance à ressentir l'environnement comme une source de contraintes les coupant dans leur programme préétabli. 
En fait, c'est tout le contraire ! Un bon guideur finit par "utiliser l'environnement" pour enrichir sa danse. Au lieu de voir les autres couples comme des contraintes, il est possible d'en tirer un double profit. La variabilité de l'espace permet de sortir des schémas et donc de ne pas s'ennuyer. 
Pour le guideur, en choisissant bien qui est devant lui, presque comme un partenaire, peut s'inspirer de ce que ce "partenaire" fait afin d'enrichir sa danse et sa proposition. C'est dans cet état d'esprit que je choisis presque autant la guideur qui est devant moi que la personne que je vais guider. J'ai ainsi, comme nombre de guideurs, développé un ensemble de stratégies me permettant de garder le même "éclaireur" tout au long du morceau, empêchant l'intrusion d'un autre couple, sauf si le guideur "postulant" devait être dans l'état d'esprit que je recherche pour cette série de danses. 
Lorsque le bal est vraiment harmonieux, que les guideurs dansent entre eux, la sensation le lendemain matin est encore plus belle que lorsque l'on a eu du plaisir à danser avec une ou plusieurs personnes. 
Quand c'est tout le groupe qui a été en harmonie, c'est bien plus nourrissant et embellissant. 


Réalisation Nicolás pour Ailes de Tango


5- L'aspect psychologique
Le tango, ce sont deux être humains qui dansent ensemble. Dans être humains, il y a humains, avec ce que cela implique de prise en compte de soi et de l'autre. Le principe, c'est aussi de comprendre ce qui marche physiologiquement dans notre corps et dans celui de l'autre et comment se passe le mouvement.
Si l'on estime que l'on a toujours raison et que les autres ont toujours tort, autant vous dire que certains progrès seront impossibles dans un tel état d'esprit. Si l'autre a toujours tort, on passe à côté de ce qui permet de bien réaliser un pas. Certains progrès en tango ne deviennent alors possibles que si la personne change fondamentalement. C'est d'ailleurs pour cela que le tango dansé à certain niveau rend assez difficile le fait d'être trop macho. Le bon guidage est contradictoire avec le machisme et donc avec les clichés dont souffre le tango depuis des années. 
De même, une personne qui penserait qu'elle a toujours tort ne pourrait jamais avoir les références appropriées pour savoir quand elle est juste dans l'interaction. C'est comme si elle n'avait pas la base pour construire dessus. 

L'aspect psychologique est donc déterminant en tango. Certaines personnes restent parfois bloquées dans leur danse pendant des dizaines d'années tant qu'elles n'ont pas accepté de remettre en cause certains de leurs principes et ça, ça ne se travaille pas dans un cours de tango...

Conclusion
Plus je me sens bien dans ma peau en faisant la bonne place à l'autre, plus je suis aligné, au propre comme au figuré, et plus j'ai de chances de progresser rapidement en tango. Le fait d'avoir eu une pratique corporelle peut être un bon début, mais l'aspect psychologique sera déterminant pour devenir un bon danseur. Car un bon danseur, ce peut parfois être un performeur, mais c'est surtout une personne avec qui l'on peut partager un moment de profondeur, de respect mutuel et avec nos corps aiguisés au service de la musique et du bal.


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Quelques petits compléments personnels
Voici ici quelques éléments complémentaires où je vais évoquer ma propre expérience pour illustrer certains des propos ci-dessus. Je préciserai en tête les numéros de la partie à laquelle je fais référence.

1- Exemples de la manière dont on peut réutiliser ses expériences corporelles en tango 

En commençant le tango, je ne pouvais pas me tenir droite, mettre la tête au dessus de mon corps m'était impossible. Je devais donc faire des efforts commensurables dans les jambes, le ventre, les pieds... pour compenser cette absence d'axe et ces 7kg en avant. J'ai très vite compris que ce n'était pas dans un cours de tango que je pourrais trouver une solution, surtout que, dans les années 1990, si bien qu'aient été certains cours, aucun ne proposait un travail corporel. A alors commencé un long cycle d'une quinzaine d'années de kinésithérapie, dont la méthode Mézières a été la clé, avec quelques arrêts à la case Technique Alexander, Feldenkreiss, Gyrotonic...

J'étais ainsi alors que, depuis l'âge de 6 ans j'avais toujours pratiqué des activités corporelles pendant 1 à 5 ans (danse classique, gymnastique, aviron, ju-jitsu, karaté, tennis, athlétisme, natation, yoga...), dont certaines en parallèle et même en compétition. 
Dès mes débuts en tango, j'ai été frappée par le parallèle entre le tango et les arts martiaux que j'avais pratiqués, mais aussi, contre toute attente, avec l'aviron. 
La pratique d'un ou plusieurs sports, ce sont autant d'éléments de comparaison et de référence pour danser le tango, autant d'éléments qui permettent d'enrichir notre danse, de même que le faire d'avoir un métier physique, comme nous l'avons d ci-dessous déjà vu ci-dessus.

Avec la danse classique, il y a un rapport particulier au corps, à la musique et au sol avec une verticalité, une hyper ouverture du bassin, un certain type de coordination des bras... 
En aviron, nous faisons des allers et retours assis dans le bateau, en devant bien maîtriser la verticalité du haut du torse, faute de quoi, nous pouvions immédiatement tomber à l'eau. La sanction était immédiate ! L'autre chose intéressante avec l'aviron, c'était le "retour", ce moment où, après avoir tiré les rames et poussé dans les jambes, nous revenions sur l'avant du bateau pour tirer de nouveau. Ce moment de retour, c'était la récupération, celle où l'on devait mesurer la tranquillité pour se reposer de la poussée et pour ne pas donner une énergie à contre-sens en revenant trop brutalement. C'est le même principe que lors de la marche. Lorsque l'on a le poids sur une jambe, c'est une chaîne musculaire qui fonctionne. Pour aller chercher le pas suivant, c'en est une autre. 
Avec les arts martiaux, il y a le corps à corps, la connaissance du corps de l'autre pour pouvoir y avoir le meilleur accès. Il y avait encore la notion d'axe avec une jambe en extension ou le torse en rotation soit pour porter un coup, soit pour porter l'autre. Ce qui m'a semblé aussi intéressant, c'est l'enchaînement des prises. Une seule action de défense ne suffit souvent pas. Elle est normalement accompagnée d'un ou deux autres mouvements. On va par exemple faire un ipon soenague (désolée pour l'orthographe), c'est à dire à partir d'un coup porté avec un bras, saisir le bras de l'adversaire pour venir lover notre dos contre l'avant de son corps pour le faire passer par dessus nous et le faire tomber au sol. Mais il peut alors se relever. On va donc achever le mouvement par une clé de bras entre les jambe par exemple. 
Tout cela, c'est, outre l'aspect antagoniste de cette prise, du tango. Quels sont mes appuis pour esquiver l'attaque ? Comment est-ce que je tiens compte de son corps pour réussir à véritablement m'emboiter pour le faire passer au dessus de moi. Quel est le rôle des jambes dans cette action... Le fait de faire les mouvements un par un, mais d'enchaîner avec fluidité, c'est du tango. 
En gymnastique, nous retrouvons le travail du centre pour garder l'axe, mais aussi celui des bras dans les agrès, le rapport à la souplesse, au sol pour sauter ou pour s'ancrer.  
Avec la natation, en fonction de la nage, il y a une symétrie ou une asymétrie permettant d'apprendre à coordonner les mouvements sans la contrainte de l'apesanteur, mais avec une résistance, une réponse de l'eau qui est assez proche de ce que l'on peut éprouver en dansant le tango avec la proposition et la réponse énergétique du/au guidage. 
En athlétisme, évidemment, la marche, le rapport au sol, la libération des hanches autour de la colonne vertébrale sont aussi les éléments de base du tango, qui est avant tout une marche. Le tango, c'est d'abord une marche, chose bien souvent la plus dure à comprendre pour les débutants, qu'il est difficile d'avoir du plaisir dans la danse et l'apparition de figures s'il n'y a pas déjà un plaisir physique et "spirituel" à trouver de l'harmonie avec une personne juste en marchant ensemble en interprétant la musique. 

5- Du psychologique dans le tango
Très vite, en commençant le tango, on comprend que ce qui se passe sur la piste est la résonance de ce qui se passe en dehors de la piste. C'est évidemment plus facile de l'observer chez les autres que chez soi ;) ! 
Pour moi, cette observation a été le début d'un grand chantier personnel où j'ai commencé à utiliser mon tango comme jauge de mon évolution personnelle. 
Cela m'a donné à réfléchir sur ce lien corps/fonctionnement relationnel, surtout lorsque j'ai commencé à enseigner. Je corrigeais des élèves sur leur danse (bien garder la bonne distance, avoir plus de détermination, être plus clair dans les intentions...) et ils me disaient qu'ils travaillent cela dans un autre cadre aussi. Cela m'a finalement donné envie de transformer cette matière corporelle. J'ai donc entamé une formation en coaching avec pour objectif de voir comment je pourrais utiliser le tango comme métaphore de la relation à soi, à l'autre et au groupe. J'ai écrit un mémoire sur "le tango métaphore des notions de leadership et followership dans un coaching sur l'assertivité". 
Un jour, l'on m'a demandé de faire une conférence sur le tango et le coaching. J'ai conçu un atelier qui pourrait s'adapter à un public très varié (de 6 personnes à plusieurs centaines) et dont les thèmes pouvaient s'adapter en fonction des objectifs des organisateurs. 
La mise en place de cette technique avec une centaine de cobayes volontaires et la pratique que j'ai eue dans les coachings personnels et lors des ateliers avec plus d'un millier de participants à travers l'Europe a renforcé ma croyance que le tango argentin est véritable une mine d'or pour travailler les relations interpersonnelles, la confiance en soi, la confiance, le lâcher-prise, l'esprit d'équipe....
Nous n'en sommes qu'au début du développement du tango comme une danse, comme l'évoquent ici Gustavo Naveira et Giselle Anne. Il en est de même pour ce qui est de l'utilisation de la richesse du tango comme outil et comme métaphore pour se développer soi-même et développer l'esprit d'équipe au sein d'un groupe. 

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Prochains stages de Tango en el Cuerpo avec un atelier sur le Tango Médiation, avec le tango comme métaphore de la relation
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Article publié le 5/11/14 et mis à jour le 12/06/16

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