Petit guide du cabeceo / la mirada

Le cabeceo / La mirada
Lorsque nous avons proposé l'article sur la circulation sur la piste, un danseur nous a suggéré de proposer aussi un article spécial sur le cabeceo en disant que c'était "vital" pour le tango. Cette pratique est régulièrement évoquée dans des forums ou par les danseurs dans les bals car elle fait se croiser deux univers qui ne se rencontrent finalement que difficilement.

Le CABECEO vient du mot "cabeza", la tête, en espagnol. Il s'agit d'un mouvement de tête.
Le cabeceo est devancé par la MIRADA : le regard.
Pour désigner la personne avec laquelle l'on souhaite danser, on va la regarder droit dans les yeux, sans faire autre chose que de la fixer afin d'éviter de distraire son attention de notre regard. Si cette personne n'est pas sûre de vouloir danser avec l'autre en général ou à ce moment précis, sur cette musique, avec autant de monde sur la piste..., elle va regarder ailleurs, comme si elle n'avait pas aperçu ce regard.
Si, au contraire, elle est intéressée, elle va maintenir le regard. Alors, le guideur baissera un peu la tête, le guidé répondra en baissant la tête à son tour, éventuellement avec un sourire comme lorsque l'on acquiesce.

Dans un "bal normal", les deux personnes se déplaceront vers la piste pour se rejoindre près de l'entrée de la piste, se saluer, puis s'enlacer pour danser, le guideur pouvant se rapprocher plus de la personne guidée.
Dans "bal traditionnel", avec les femmes (guidées) assises d'un côté et les hommes de l'autre, l'homme (guideur) viendra chercher la femme à sa table et la raccompagnera à sa place à la fin de la tanda.
Une tanda est une série de morceaux (généralement 4 pour du tango et 3 pour de la valse ou de la milonga) d'un même orchestre, séparée d'une autre tanda par une "cortina"/un "rideau musical", c'est-à-dire une "musique non tango" laissant aux gens le temps d'aller se rasseoir. On ne se séparera au milieu d'une tanda que s'il y a un soucis, un vrai problème, autrement, il y a une sorte d'engagement tacite à finir la série ensemble.
La coutume du cabeceo laisse certaines personnes perplexes quand à la symbolique, au machisme...
En fait, la mirada et le cabeceo sont une manière élégante de montrer son désir de danser avec quelqu'un. Cela évite, par exemple, de devoir aborder une personne avec laquelle on souhaite danser et d'entamer une conversation (parfois sans aucune envie de converser) dans le seul but de lui donner l'opportunité de "délivrer son invitation" ou pour se sentir le "droit de nous inviter".
Par le regard, on spécifie notre envie et on laisse le choix à l'autre sans qu'il n'y ait de "blessé".

Cette technique permet aux guidés et aux guideurs de montrer leur désir et d'être actifs dans le déroulement de leur soirée. Ainsi, lorsque l'on observe la piste, on sait que toutes les personnes qui y dansent ont eu envie de danser ensemble. Aucune n'est arrivée par surprise en invitant l'autre qui avait éventuellement une autre envie, mais n'a pas osé refuser pour éviter de faire de la peine ou de se faire "griller".

Parmi les avantages, il y a le fait que, par exemple, des personnes dansent depuis moins longtemps que d'autres. Elles ne s'octroient alors pas le droit d'inviter les danseurs plus anciens car elles estiment qu'elles n'ont pas le "niveau". Celui qui est moins expérimenté, lorsqu'il commence à pratiquer le cabeceo, se rend compte que nombre de personnes avaient envie de danser avec lui/elle, sans qu'il/elle ne le sache !... encore fallait-il qu'il/elle les REGARDE ! 

Beaucoup de tanguer@s expérimentent et développent les deux rôles, parfois par curiosité, parfois par envie, parfois pour développer leur rôle "classiquement attribué" en comprenant mieux les besoins de l'autre rôle...
À quand des bals avec un côté "guideur" et un côté "guidé" ?
On pourrait aller tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, au gré de nos envies ? Cela simplifierait l'invitation lorsqu'une personne souhaite danser dans le rôle qui ne lui serait classiquement pas dévolu.

TRUCS et ASTUCES :
 

- pour faire un cabeceo digne de ce nom, il faut un minimum de distance entre les deux personnes, 1,50m par exemple.
 

- on va regarder directement dans les yeux.
Cependant, si la personne est en pleine conversation, baisse les yeux sans les relever vers vous ou détourne la tête, il est sûrement plus approprié de ne pas se rapprocher, insister, rouler des yeux, faire de grands signes des bras ou de la tête, se mettre juste devant, lui taper sur le bras, lui reprocher de ne rien voir.... 
 

- ce n'est pas parce qu'une personne ne répond pas positivement immédiatement qu'elle n'est pas intéressée dans l'absolu, pas la peine de la blacklister sur le champs !
C'est son droit, à CE moment-là, d'avoir une envie différente et son refus à un moment peut ne rien avoir à faire avec celui/celle qui invite. Ce peut être la musique, l'envie de partager une musique plus forte ou plus légère avec cette personne... Il y a des gens qui ne dansent pas Pugliese (souvent des guideurs, au grand dame des guidées), alors que d'autres le sacralisent et le réservent à une personne spécifique... De plus, dans les bals traditionnels, danser plus de 3 tandas signifie avoir un intérêt plus avancé pour la personne (cela peut être interprété comme une envie de finir la soirée à deux), il est donc normal de chercher à danser les tandas qui nous plaisent le plus avec ce partenaire, plutôt que de les "brader".
La personne qui n'a pas répondu positivement pourra montrer son envie plus tard, dans toute son humilité, car il est possible qu'à ce moment, sans que ce soit une "vengeance", n'ait pas la même inspiration... Refuser trop régulièrement, sans jamais accepter ou renvoyer l'ascenseur pourra finalement être pris comme un refus définitif.
 

- si l'on ne veut pas danser avec une personne, on ne l'observe pas en faisant des gestes avec la tête, puis en la re-regardant, puis en regardant ailleurs... Tout le temps où l'on sème la confusion chez l'autre, on lui donne de faux espoirs et l'on installe une dissymétrie dans la relation qui laisse un goût amer. C'est aussi du temps où il ne cherche pas quelqu'un d'autre avec qui danser et il risque ainsi de finir par "perdre la tanda".
De plus, quand certaines personnes jouent régulièrement à ce petit jeu, les personnes de l'autre rôle finissent par en parler entre elles et finalement elles vont collectivement cesser de regarder cette personne. Montrer son envie, c'est, à certains égards, se mettre à découvert et montrer une certaine vulnérabilité dont l'autre ne doit pas se jouer.
 

- quand vous n'êtes pas sûr d'être la personne concernée, car il y a du monde autour de vous, vous pouvez faire un petit geste de confirmation auquel il est souvent répondu par un hochement de tête ou par le même geste. Si vous êtes plusieurs à réagir, la personne qui invite va tourner la tête et attendre que seule la personne concernée la regarde pour regarder de nouveau dans cette direction.

Cela demande un peu de temps pour prendre ces habitudes, pour prendre ses marques et de l'assurance, c'est comme apprendre le tango, alors soyez patient avec vous-même et les autres !


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Personnellement, j'en avais entendu parlé avant mon premier voyage à Buenos Aires et je l'appliquais de manière sporadique. Lorsque deux danseuses m'ont donné comme ultime conseil avant de partir de ne jamais accepter une invitation à la table car le cabeceo permettait de "construire sa soirée", c'était un concept très flou. Ma première milonga a été un peu difficile car j'étais à la table d'un homme, mais j'ai commencé à l'appliquer. Dès le deuxième bal, j'ai compris ce que signifiait construire sa soirée et pouvoir montrer son désir, ce que je n'avais plus fait depuis 5 ans. Comme c'était à distance, cela n'engageait personne et permettait une légèreté difficile à trouver dans un bal où l'on n'invite plus directement, mais où le cabeceo n'est pas encore d'usage.
J'ai ainsi pu danser avec des personnes qui n'auraient jamais cherché à danser avec moi. Le fait de rester dans son ressenti, son intuition, de ne pas brader la tanda ou d'accepter de rester seule plutôt que d'être malmenée, a été très intéressant.





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Voilà quelques réflexions sur le cabeceo, n'hésitez pas à rajouter les vôtres en commentaire !

Lien vers l'article sur la circulation en bal
En voici un autre pour en savoir plus sur les codes des milongas/bals traditionnels à Buenos Aires


Mise à jour : 150930 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Article très intéressant sur le cabeceo/ mirada. Je cherche à savoir la date ou la période à laquelle cette pratique s'est officialisée, à Buenos Aires.

merci pour la réponse.

MF