Gentleman in Tango

Il y a quelques semaines, mon guideur m'est rentré dans le pied avec une telle force que, pour la première fois depuis mes débuts, j'ai dû arrêter de danser au cours d'un tango tellement j'avais mal. 
Il m'a plantée sur la piste et c'est seule donc que j'ai dû trouver une chaise pour me poser le pied à la main. Ce qui m'a frappée, c'était son absence de gène du fait que j'aie mal et la sensation qu'il donnait que je le contrariais dans son envie de danser ce morceau. Quelques instants plus tard, je relève la tête et retrouve le jeune homme sur la piste avec une autre danseuse alors que le morceau n'était pas fini ! Pour éviter de prendre des risques avec mon pied, j'ai continué à mettre la musique, mais j'ai préféré ne pas redanser de la soirée. Ce danseur est parti sans venir me demander des nouvelles. Mieux encore, deux semaines plus tard, nous nous croisons et lorsque je l'informe de mon état (entorse du doigt de pied avec kiné et ostéo), il me dit que nous sommes deux à danser, m'expliquant ainsi que c'était moi qui étais responsable de la situation ! 

Cette petite anecdote pour évoquer quelques éléments qui me semblent être la base de la relation de tango. Vous connaissez tous des personnes, souvent des guidées, qui ont dû arrêter de danser un à plusieurs mois car elles ont été blessées par leur guideur ou un autre couple. 

Le tango, c'est une question de confiance. 

Pour la personne qui est guidée, danser le tango, c'est faire confiance à une autre personne pour qu'elle nous donne une énergie et une direction en toute sécurité car elle va la plupart du temps en marche arrière. Elle remet sa sécurité entre les mains de son partenaire. 
Pour la personne qui guide, danser le tango, c'est de pouvoir compter sur l'autre pour répondre proportionnellement à notre proposition. Grâce à ce principe, si l'énergie qui est fournie à gauche est la même que celle fournie du côté droit, le guidé va tout droit. S'il y a une différence, on tournera d'un côté ou de l'autre. 
Assurer la sécurité de la personne que l'on guide, c'est garder une distance de sécurité entre notre couple et celui de devant. C'est s'interposer entre nous et un autre couple qui prendrait des risques avec la personne que l'on guide. 
C'est poser le pied de sorte à ne par prendre de risque avec ceux de la personne guidée, c'est-à-dire que poser d'abord la pointe du pied représente un style et le style se travaille quand on a la base, une base bien plus que solide. Quand on attaque le sol avec le talon, si, à un moment, on sent le pied de l'autre sous le notre, dans le pire des cas, on l'écrase, ce qui est rarement grave, mais en général, on peut changer son orientation et ne pas faire mal à l'autre. Quand on arrive avec la pointe, s'il y a le moindre problème de communication, l'autre ne bouge pas le pied comme prévu. On arrive alors directement soit sur ses ongles, soit sur ses doigts de pieds. Dans le meilleur des cas, on abîme un ongle, dans le pire, on retourne l'ongle ou le doigt de pied (entorse, fracture). 

Pour les deux partenaires
Il va de soi que c'est aussi faire en sorte de ne pas faire mal à l'autre ni à nous-mêmes par notre position : on fera en sorte de respecter le corps de l'autre et le nôtre dans notre enlacement (contact des deux mains, contact des bras et du torse). 

Les excuses
Quoi que le guideur ait fait, qu'il s'estime être "coupable" ou non, lors d'un effleurement avec un autre couple, il se doit de s'excuser. Cela a plusieurs effets positifs : cela montre à la personne guidée que le guideur est conscient de ce qui vient de se passer. Cela montre à la guidée de l'autre couple que c'est quelqu'un de respectueux, ce qui lui évite de se faire black-lister par elle. Cela calme l'autre guideur et laisse, si nécessaire, une ouverture pour un débriefing possible à la fin de la danse ou de la tanda. Cela apaise tout le monde quand les deux guideurs le font et évite la présence d'électricité dans le bal et la collection de rancunes. 

Recréer l'alliance
Quand on rentre en contact avec un autre couple, quand on touche une chaise, quand le résultat d'un pas n'est visiblement pas celui qui était escompté et est inconfortable, l'effet naturel sur le guidé, c'est celui d'une personne qui a eu peur ou a été bousculée. Les épaules sont montées, les omoplates tournées, la tête rentrée, le poids en l'air, les hanches figées. Pour éviter, en tant que guidé, d'avoir la sensation de se mettre à courir derrière le guideur et de n'être pas respectée, de simples choses peuvent être faites par le guideur. C'est lui qui initie le mouvement, il est donc le mieux placé pour recréer l'alliance et la confiance. Il lui est par exemple possible de revenir à ce qu'on pourrait appeler le point neutre : les deux pieds joints. On reste un instant ainsi pour laisser tout ce qui était monté reprendre sa place, pour repositionner les omoplates, réaligner la tête, descendre les coudes, relâcher les hanches...
Ce moment pour se recentrer sur soi nous permet de nous remettre dans la relation, physiquement, mais aussi psychologiquement. 
Lorsque j'ai fait quelque chose qui sortait de la relation et a perturbé notre alliance, j'ai plusieurs astuces. Sauf cas très fâcheux, comme le fait que je sois responsable d'une collision, j'évite, en tant que guidée, de m'excuser. C'est souvent très désagréable d'entendre l'autre s'excuser toutes les 10 secondes et souvent, les erreurs s'accélèrent, les excuses avec. Je fais un petit geste avec la main droite, par exemple, pour montrer à l'autre que je suis consciente de ce qui s'est passé. J'ai d'autres outils, mais je vous laisse trouver les vôtres ! 
En tant que guideur, je m'excuse systématiquement et je demande des nouvelles à l'autre s'il y a eu un contact avec un autre couple ou avec un objet. Si c'est plus anodin, je vais faire une petite caresse dans le dos ou sur la main. Ca évite la sensation de contrition que peut faire éprouver une excuse et ça permet de garder ou de recréer l'alliance. 

Demander des nouvelles
Si un contact avec un objet ou un autre couple fait que l'une des personnes a eu mal, "coupable"  ou non, guideur ou guidée, je demande des nouvelles sur place dans le bal et j'en redemande après, si la personne a été visiblement blessée. Je le fais d'autant plus que c'était moi qui guidais la personne blessée ou la personne qui a blessé.

Ceci est une ébauche d'article. Vous êtes invités à compléter par vos idées et remarques. 

4 commentaires:

Tango Plume Provence a dit…

Encore un qui danse tout seul, qui n'a pas de sol!

Je comprends votre déception, votre amertume : malheureusement, ce genre d'incident arrive trop souvent pendant les milongas.

Parfois, dans certains de mes articles, je me dis que j'en fais trop, et que j'ai l'impression que je fais la moral... Prenons par exemple mon texte : "Bal Tango: ne pas confondre la piste de danse avec un hyppodrome" - ai-je été aller trop loin dans la comparaison?
Eh bien il me semble que non quand je lis votre témoignage : aucune forme de politesse chez ce danseur, et pourtant il est responsable quoiqu'il en soit : IL EST IMPOSSIBLE POUR UN VRAI ET BON DANSEUR DE TANGO d'écraser, de cogner le pied de sa danseuse : quand on guide avec son sol, avec l'intention et que le danseur est PRESENT dans ce qu'il fait, il ne peut pas cogner un tibia ou une cheville.

Encore un qui danse tout seul....

Anonyme a dit…

Bonjour Plume,
Je crois qu'il est toujours possible de faire mal à quelqu'un involontairement. Le problème est plutôt qu'il n'y ait eu aucune excuse, aucune prise de responsabilité, aucune demande de nouvelles...

Tango Plume Provence a dit…

En effet, cela peut arriver à tout le monde de cogner par inadvertance, mêmes les meilleurs parfois - Certes, le comportement était "aberrant" ici, surtout pour se remettre immédiatement à danser, sans aucune excuse, ni retour.
Ceci dit, une maîtrise des transferts de poids, une écoute véritable de sa/son partenaire diminue considérablement les risques. Le tango de bal tient plus d'une attention portée à son environnement, d'une conscience corporelle à développer, qui d'ailleurs permet justement une bien meilleure connexion et somme toute, un guidage de qualité (à côté de la technique proprement parlée).

Anonyme a dit…

Tout d'abord désolé que les bonnes manières ne s'appliquent pas, et effet il est de bon ton de s'enquérir de l'état de la blessée, non pas parce que les règles de tango l'exigeraient mais tout simplement par courtoisie.

Dans un 2ème temps en tant que guideur, je me demande de qui est la faute ou pas. Il y a un mauvais coup? Peut être la guidée était ailleurs et n'a pas écouter le guidage ... (ça n'enlève toujours rien au manque de courtoisie).
J'ai bcp trop souvent droit au discours de femmes indélicates qui me balance un c'est toujours de la faute du guideur.
Vu d'ici je dois porter des danseuses (surtout quand elles ont commencé milonguero) qui n'ont aucune notion de l'axe, je me bagarre avec leurs corps tout mou, je suis ridiculisé quand elles font des pas de marsupilami sans aucune classe ni élégance .... et le pire: celles qui n'écoutent même plus mon guidage au nom d'une interprétation intense de ce qu'elles entendent, elles dansent avec la musique et moi je sers de porte manteau.

Si je généralise ces pires moments là, j'arrête le tango. Cependant je préfère me souvenir plutôt des bonnes rencontres. En même temps j'évite les galères en ne les invitants plus (ce qui pose aussi des problèmes à plus longs termes). Le tango est une danse de couple basée sur une invitation et une acceptation, après faut assumer.